Claude Grange : un soldat de la Grande Guerre, sculpteur de portraits de Poilus et d'artistes

Claude Grange photographié en 1955 devant le monument aux morts de Vienne qu’il a sculpté en 1923. Photo R. Chaumartin publiée dans « Sud Est illustration », n° 6, janvier 1955. © Médiathèque de Vienne, cote B 1985.
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  • Mis à jour le 10 novembre 2022
 

Soldat décoré de la Croix de guerre 14-18 et de la Légion d’Honneur, Claude Grange a été aussi un sculpteur reconnu lauréat d’un second Grand Prix de Rome en 1911. Cette double réputation lui a valu nombre de commandes pour des monuments aux morts, mais aussi pour des portraits sculptés de Poilus ou d’artistes destinés à orner les sépultures des défunts. Parmi ces portraits, deux ont été découverts à Poitiers et à Châtellerault.

La formation artistique de Claude Grange

Né le 25 septembre 1883 à Vienne (Isère), d’un père marbrier, Pierre Grange, et d’une mère au foyer, Marie-Louise Bouvier, Claude Grange se destine très tôt à la carrière artistique. Initié à la taille de la pierre dans l’atelier paternel, il entre en 1900 aux Beaux-Arts de Lyon et fréquente l’atelier de Pierre Aubert dans la même ville. En 1906, il obtient une bourse d’étude qui lui permet d’entrer aux Beaux-Arts de Paris. Il suit parallèlement des cours pratiques dans l’atelier de Jean-Antoine Injalbert (1845-1933), Grand Prix de Rome en 1874 et membre de l’Académie des Beaux-Arts. Il est également élève du médailleur Emmanuel Hannaux (1855-1934).

Sa carrière et les récompenses officielles

Sculpteur volontaire et talentueux, Claude Grange expose au Salon des Artistes Français où il obtient une mention honorable en 1910, puis une médaille de bronze en 1914 pour le groupe sculpté « Le Soir ». Il concourt aussi pour le Prix de Rome et, en 1911, il obtient le second prix pour sa composition « Electre veillant sur le sommeil d’Oreste ». Mais sa carrière est brusquement interrompue par la guerre en 1914. Mobilisé au 5e régiment d’infanterie coloniale, il en revient en 1919 avec le grade de capitaine, la Croix de guerre avec palmes et la Légion d’Honneur pour le « courage indomptable et l’esprit de sacrifice » dont il a fait preuve, comme l’indique son dossier militaire.

A partir de 1920, il reprend son activité de statuaire et expose de nouveau au Salon officiel. Son talent est une nouvelle fois reconnu, car il reçoit une médaille d’argent en 1923 et une autre, cette fois en or, en 1926. Parallèlement, il est beaucoup sollicité pour sculpter des monuments aux morts et il s’acquitte d’autant plus volontiers de ces commandes qu’il veut honorer personnellement la mémoire de ceux qu’il a vus mourir à ses côtés en 1914-1918.

En 1933, il expose au Salon une maquette de la statue d’Hector Berlioz, œuvre qui est louée par les critiques car exprimant « le romantisme tourmenté et le génie musical du grand compositeur » ; la statue en pierre grandeur nature ne sera réalisée qu’en 1953 pour la ville de Grenoble, dont le musicien est originaire, afin de remplacer celle en bronze qui a été fondue sous le régime de Vichy. En 1935, il reçoit la médaille d’honneur du Salon des Artistes Français pour une statue figurant saint Colomban destinée à l’abbaye de Luxeuil (Haute-Saône). En 1937, il sculpte à Albas (Lot) le monument dédié à Gustave Guiches (1860-1935), romancier et dramaturge, natif de la commune.

Lors de la guerre 1939-1945, Claude Grange est de nouveau mobilisé et part en Syrie avec le grade de commandant. Après l’armistice, il reprend ses activités de sculpteur. En 1949, il fonde le Syndicat national des artistes peintres et sculpteurs professionnels (devenu Syndicat national des sculpteurs et plasticiens) afin de défendre les intérêts de sa corporation. En 1950, il sculpte pour sa ville natale de Vienne le monument de l’écrivain et académicien François Ponsard (1814-1867), là encore en remplacement de la statue en bronze qui a été fondue en 1942.

Toujours en 1950, il est nommé membre de l’Académie des Beaux-Arts (section sculpture) et trois ans plus tard il en devient le président. Commandeur de la Légion d’Honneur et de l’Ordre des Arts et Lettres, il reçoit en 1969 le prestigieux grand prix de la Société des Artistes Français pour l’ensemble de son œuvre. Décédé le 22 septembre 1971 à Paris, il est enterré au cimetière du Père-Lachaise.

Claude Grange et ses liens avec Poitiers

Si Claude Grange est connu pour avoir travaillé essentiellement en Isère et dans le Rhône, on sait beaucoup moins qu’il a noué une amitié durable avec le peintre parisien, d’origine poitevine, Charles Eugène Descoust (1882-1974). En effet, les deux hommes se connaissent depuis la guerre de 1914-1918. Comme Grange, Descoust a été sociétaire du Salon des Artistes Français et il y a présenté régulièrement des œuvres qui lui ont permis d’obtenir une mention honorable en 1927, puis la médaille d’or en 1956. En 1926, les deux hommes ont exposé ensemble leurs œuvres respectives dans la Galerie Charpentier à Paris, Descoust présentant à cette occasion pas moins de 57 tableaux.

A Poitiers, Charles Descoust a sollicité en 1922 son ami pour la réalisation du buste de son père, Victor Charles Descoust (1852-1931), buste qui sera ensuite offert au musée de Poitiers. En 1933, la revue poitevine La Grand’Goule nous apprend que Claude Grange a réalisé une maquette figurant le « Montoir de Jeanne d’Arc », bloc de pierre dont la tradition affirme que la « Pucelle d’Orléans » a pris appui dessus pour monter sur le cheval qui devait l’emmener en 1429 auprès du roi Charles VII ; mais ce projet artistique ne verra pas le jour. En 1936, la même revue poitevine fait l’éloge de la statue de saint Colomban réalisée par Claude Grange pour l’abbaye de Luxeuil. Cette œuvre, qui a reçu la médaille d’Honneur du Salon, est ainsi décrite par le chroniqueur de la revue : « La figure [que Grange] a dressée, énorme, est d’une fougue dans le mouvement, d’une force expansive dans le geste, d’une énergie formidable dans l’expression où revivent l’œuvre et l’homme, ou plus exactement l’âme elle-même. Rien d’anecdotique dans ce rude symbole, nulle minutie archéologique, nulle dispersion de l’effet où se traduirait la recherche, l’art de Claude Grange garde, dans l’extrême tension, une parfaite simplicité. C’est à ce prix qu’est la grandeur. »

Trois œuvres peu connues de Claude Grange au musée de Poitiers

A la suite de ces échanges artistiques entre Claude Grange et le milieu culturel poitevin, le musée Sainte-Croix de Poitiers s’est enrichi de trois œuvres du sculpteur viennois :

  • le buste en bronze de Victor Charles Descoust évoqué ci-dessus. Réalisé en 1922, il a été offert en 1933 au musée par son fils Charles. Il est ainsi décrit dans La Grand’Goule : « Le sculpteur Claude Grange vient de faire au musée de Poitiers une entrée discrète ; la discrétion lui est naturelle, comme le talent. Ce buste d’un Poitevin de vieille roche – le père du bon peintre Descoust – est une œuvre probe, solide et vivante... » Le catalogue du musée précise que « cette œuvre qui date du début de la carrière de Grange est de facture et de conception très traditionnelles. La touche nerveuse est typique de l’art du portrait du début du XXe siècle à la suite de Rodin. »
  • le portrait en pierre d'une jeune femme sculpté en 1924. Le catalogue du musée le décrit ainsi : « Ce très beau buste, dont nous ne connaissons ni la provenance ni le nom de la personne portraiturée, est différent du portrait de Descoust. Claude Grange est ici proche de l’esthétique de l’Art Nouveau. La composition de ce buste est tout à fait originale : la main qui soutient la tête sort de la terrasse de façon presque surréaliste. Cette figure, très poétique par la pose, semble symboliser l’inspiration. La technique de la taille est digne d’un grand praticien, le modelé du visage est traité avec une douceur mise en relief par les cheveux et la robe. Dans ce portrait, Claude Grange nous prouve qu’il est un bon technicien, et surtout que par sa mise en page il crée une œuvre tout à fait originale... »
  • la tête en terre cuite de Suzanne Ursault réalisée en 1943. Cette œuvre, qui figure la fille de l’architecte poitevin André Ursault, a été offerte au musée en 1947 par Claude Grange. Ce dernier a modelé avec beaucoup de délicatesse un visage fin et gracieux, aux traits encore juvéniles.

Deux œuvres inédites de Grange dans les cimetières de Châtellerault et Poitiers

A Châtellerault, le cimetière de Châteauneuf conserve le médaillon d’un Poilu, Maurice Ollivier (1882-1914). Ce dernier, soldat du 6e régiment d’infanterie, est décédé le 14 octobre 1914 des suites de la fièvre typhoïde contractée sur le champ de bataille à Fismes (Marne). Pour lui rendre un ultime hommage, ses parents ont demandé à Claude Grange d’immortaliser son portrait afin de l’installer en haut de la sépulture familiale. L’œuvre n’a été réalisée que huit ans plus tard, en 1922, probablement en raison des trop nombreuses commandes pour lesquelles Grange s’était engagé.

A Poitiers, le cimetière de Chilvert conserve le médaillon de Victor Charles Descoust, le même personnage dont le fils Charles a fait réaliser en 1922 le buste qu’il a ensuite offert au musée. Comme l’indique l’inscription portée sur le médaillon, ce sont ses fils, Charles et Amédée, qui en ont passé la commande à Claude Grange en 1932, un an après le décès de leur père. Ce dernier est figuré de manière saillante, en haut-relief et vu de profil, portant un uniforme militaire au col relevé.

D’autres médaillons de combattants ou d’artistes dans des cimetières en France

En l’état actuel des connaissances, seules quelques œuvres de Claude Grange figurant des soldats morts au combat ont été repérées en France. C’est le cas à Vienne, au cimetière Pipet :

  • le Poilu Fernand Raymond (1876-1915), capitaine au 99e régiment d’infanterie, tué en Champagne en 1915 ; son portrait a été immortalisé en 1922 par Claude Grange ;
  • le résistant Jules Dedieu (1897-1944), fusillé en 1944 par la Gestapo ; son portrait a été réalisé en 1947 et a pris place en haut de la sépulture familiale.

Au nombre des personnalités politiques ou d’artistes portraiturés par Claude Grange, on peut citer dans un ordre chronologique les médaillons en bronze suivants, traités le plus souvent en haut-relief :

- Vienne, cimetière Pipet :

  • Tony Zacharie (1819-1899), peintre viennois, professeur de dessin de Claude Grange enfant, œuvre réalisée en 1912 ;
  • Henry Jacquier (1878-1921), peintre lyonnais, 1924 ;
  • Jules Buisson (1866-1923), auteur et compositeur, 1926 ;
  • Florentin Laurent (1847-1925), entrepreneur philanthrope de Vienne, 1927 ;
  • Ennemond Payen (1881-1932), député de l’Isère, 1933 ;
  • Joseph Brenier (1876-1943), maire de Vienne, député puis sénateur de l’Isère, 1951 ;

- Vienne, jardin du 8 mai 1945 :

  • médaillon en bronze d’André Rivoire (1872-1930), poète et auteur dramatique, 1951 ;

- Paris, cimetière du Père-Lachaise :

  • Henri Goublier (1888-1951), compositeur de chansons, 1952 ;

- Chalezeule (Doubs), cimetière :

  • Léon Cathlin (1882-1962), écrivain et poète, 1965.

Et des œuvres plus personnelles aux styles très différents

Parmi les œuvres plus personnelles de Claude Grange, on peut citer de manière non exhaustive :

  • buste d’homme, en argile et plâtre, réalisé en 1910, conservé au musée des Beaux-Arts de Vienne ;
  • groupe sculpté « Le Soir », plâtre, qui a obtenu en 1914 la médaille de bronze du Salon des artistes français, acquis en 2020 par le musée des Beaux-Arts de Vienne ;
  • statuette de « Mère accroupie », en bronze, sculptée en 1920, conservée au musée des Beaux-Arts de Vienne ;
  • groupe sculpté figurant trois personnages féminins, en bronze, non daté, conservé au musée des Beaux-Arts de Vienne ;
  • statue de « Femme à la guirlande », en plâtre, non daté, conservée au musée des Beaux-Arts de Vienne ;
  • quatre reliefs figurant les saisons, en plâtre, non datés, conservés au musée des Beaux-Arts de Vienne ;
  • sculptures et bas-reliefs qui ornent la chapelle de l’hôpital Lucien-Hussel de Vienne, 1938 ;
  • buste de la fille de Claude Grange, Christine Bitter, terre cuite, 1962 (et non 1963) ;
  • statuette « Homme en pied », terre cuite, pour un projet non réalisé (?), non datée, don de Madame Grange en 1973 au musée des beaux-arts de Calais.

Et il reste beaucoup d’autres œuvres à découvrir... 

Auteur : Thierry Allard, novembre 2022.

 

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