Conférence sur le patrimoine de Cernay le 24 mars
Le vendredi 24 mars 2023 à 18h, à la salle des fêtes de Cernay, une conférence de Paul Maturi présentera les résultats de l’inventaire du patrimoine de cette commune.

Alexandre Lemoine aurait pu être un entrepreneur en maçonnerie ordinaire et aujourd'hui oublié, s'il n'avait pas affiché sur sa tombe son appartenance à la loge maçonnique poitevine La Solidarité, dont il occupa durant 25 ans le poste de vénérable.
Né le 21 février 1851 à Cérelles (Indre-et-Loire), d'un père entrepreneur également prénommé Alexandre, et d'Anne Françoise Fraineau, Alexandre Lemoine s'est marié à Poitiers en 1872 avec Marie Lucille Balin (1851-1922). Il a commencé sa carrière dans la capitale poitevine comme commis entrepreneur. En 1905, le Dictionnaire biographique de la Vienne le qualifie d'architecte-entrepreneur. Lemoine y est cité pour avoir notamment réalisé des travaux pour la compagnie des chemins de fer et pour avoir construit des maisons ouvrières destinées à loger ses employés.
Alexandre Lemoine a été un homme engagé dans de nombreuses associations ou instances professionnelles, comme l'indique le même Dictionnaire biographique : « médaille d'honneur décernée par M. le Président de la République, ex-secrétaire du syndicat des entrepreneurs de la Vienne, membre de la Ligue de l'enseignement [de la Vienne], ex-président de la Ligue des Droits de l'Homme [section de Poitiers], ex-président du Conseil des prud'hommes [de la Vienne], membre du jury d’État pour les ouvriers d'arts et président en 1904 et 1905, membre de la société polymatique [sic]. ». Il est également cité pour avoir dispensé gratuitement des cours de stéréotomie (taille de la pierre) aux professionnels de la ville. Son épitaphe précise qu'il a été fait officier de l'instruction publique, qu'il a été médaillé de la guerre 1870-1871 et qu'il a reçu la médaille de sauvetage.
À Poitiers, Alexandre Lemoine a habité boulevard du Grand-Cerf, avant de construire en 1888 sa maison rue de Champagne. Celle-ci porte en relief ses initiales L.A. et la date 1888 dans un écusson placé au centre du fronton central qui surmonte la façade. À son décès, le 3 février 1933, la presse locale rapporte qu'il résidait rue des Carmélites.
Alexandre Lemoine a été initié en 1879 à la loge Les Amis Réunis, affiliée au Grand Orient de France. Celle-ci a été dissoute en 1889 suite à l'activisme boulangiste de certains de ses membres et à leur condamnation par un tribunal maçonnique. Mais, à l'initiative de plusieurs francs-maçons, dont Lemoine, une nouvelle loge voit le jour dès 1889. Située rue du Trottoir, sur l'un des côtés de la place de la Liberté, elle prend le nom de La Solidarité et se place sous le rite oriental de Misraïm (un des premiers rois d’Égypte). Dans cette loge, Lemoine atteint le grade suprême du 90e degré et il la dirigera comme vénérable, pendant 25 ans.
C'est à l'initiative de cette loge que la statue de la Liberté éclairant le monde est érigée en 1903 sur la place du Pilori à Poitiers. Copie de celle de Bartholdi à New-York, cette statue rend hommage au général Berton, franc-maçon, qui a été exécuté en 1822 sur cette place. Comme l'indiquent les inscriptions portées sur son soubassement, elle a été financée conjointement par les loges maçonniques de Poitiers et de Neuville-de-Poitou, et Lemoine a payé en tant qu'entrepreneur la structure porteuse en pierre, et sur laquelle son nom est gravé.
Le monument d'Alexandre Lemoine, probablement construit par Lemoine lui-même, est situé dans la partie centrale du cimetière de l'Hôpital-des-Champs de Poitiers. Il a été conçu à la manière d'un temple antique. La partie inférieure est réservée aux sépultures des membres de sa famille et de sa belle-famille. La partie médiane, la plus imposante, est portée par six piliers d'ordre dorique à l'intérieur de laquelle prend place le buste en pierre d'Alexandre Lemoine posé sur sa tombe. Enfin, au-dessus de l'entablement constitué d'une frise surmontée d'une corniche saillante, prend place un attique affectant la forme d'un cénotaphe antique.
Le décor de cette frise est constitué sur les faces antérieure et postérieure de métopes alternant avec des glyphes. Ce sont sur ces métopes que prennent place des motifs sculptés symboliques mêlant à la fois Dieu et la franc-maçonnerie : au centre, le chrisme entouré de l'alpha et de l'omega ; à droite, le compas et l'équerre entrecroisés ; à gauche, le niveau et le fil à plomb des architectes constructeurs. Sur les grands côtés, les métopes sont ornées de couronnes mortuaires enserrant des motifs en forme de croix grecque.
Disposé sur un piédouche circulaire, le buste d'Alexandre Lemoine est sculpté à l'antique, les bras coupés de manière arrondie sous les épaules. Lemoine est représenté à l'âge mûr, portant une veste ou un manteau dont les pans du col sont rabattus sur le devant. Il est doté d'une longue barbe frisée et fournie, et d'une moustache à la gauloise (ou morse) épaisse s'étirant sur les côtés. Ce buste sculpté dans la pierre est malheureusement anonyme.
Voici la définition donnée par la Grande Loge de France elle-même : « La franc-maçonnerie est un Ordre initiatique traditionnel fondé sur la fraternité. Elle constitue une alliance d'Hommes libres et de bonnes mœurs, de toutes races, de toutes nationalités et de toutes croyances. Elle a pour but le perfectionnement moral de l'Humanité. » Organisée en obédiences (appelées également loges), elle fonctionne selon des rites précis. Elle dispense un enseignement moral graduel imité sur celui des architectes bâtisseurs du Moyen Âge (apprenti, compagnon, maître maçon) et utilise pour ses décors des symboles liés à la maçonnerie (compas, équerre, fil à plomb, niveau, etc).
Auteur : Thierry Allard, décembre 2018.