Le portrait sculpté de Jean Rostand à Saint-Germain (Vienne) : une œuvre méconnue de Georges Boulogne

Le monument dédié à Jean Rostand est situé dans un square de la cité du Clos-de-l'Ecu, à Saint-Germain (Vienne). © Région Nouvelle-Aquitaine, inventaire du patrimoine culturel / T. Allard, 2017.
Découvertes
 
  • Mis à jour le 9 juillet 2018
 

 

La tête sculptée de Jean Rostand installée à Saint-Germain a de quoi surprendre. Sa localisation d'abord, quand on sait que l'académicien n'a jamais eu d'attaches particulières avec le Poitou. Son auteur ensuite, Georges Boulogne, sculpteur - aujourd'hui méconnu - issu du mouvement surréaliste et initiateur en sculpture du concept de la « double image »...

 

Une oeuvre de 1958

La tête de Jean Rostand a été réalisée au domicile de celui-ci, à Ville-d'Avray. Rostand a posé pour Boulogne de septembre à décembre 1958. Le modelage achevé, l’œuvre a été transportée à l'atelier de l'artiste à Paris, où elle a été reproduite en plâtre par moulage à creux perdu. Un seul exemplaire semble avoir été fondu dans le bronze par les frères Susse suite à une commande de l’État. C'est probablement celui-ci qui est aujourd'hui à Saint-Germain, où il est installé en 1972 par la volonté d'un ancien conseiller général de la Vienne, Fernand Chaussebourg.

Comme la plupart des portraits qui lui ont été commandés, Georges Boulogne s'est attaché à reproduire le plus fidèlement possible ses modèles. Il a aussi parfois stylisé certains éléments, comme ici les cheveux du scientifique.

 […] une création de votre esprit, de votre sensibilité, de vos mains savantes et supérieures. Lorsque je considère ce buste, j'oublie qu'il me représente et – sans gêne et sans narcissisme – je l'admire.

Jean Rostand dans une lettre envoyée en 1960 à Boulogne.

Jean Rostand, un académicien biologiste et philosophe

Fils du dramaturge Edmond Rostand, et comme lui membre de l'Académie Française, élu en 1959, Jean Rostand (1894-1977) a été non seulement un biologiste réputé, mais aussi un essayiste, un historien et un philosophe.

Voici comment l'Académie Française le décrit au lendemain de sa mort : « Figure pittoresque mais par certains côtés géniale du monde scientifique, Jean Rostand sut s'imposer comme un chercheur original et indépendant, d'une grande liberté d'esprit, en marge des circuits universitaires et officiels auxquels il préférait sa retraite studieuse de Ville-d'Avray. Il sut être un écrivain de talent quand il se consacrait, hors de la science, à son goût pour les lettres. »

Georges Boulogne...

Né à Reims en 1926, Georges Boulogne est né dans une famille qui possède à Roye (Somme) une entreprise produisant essentiellement des monuments aux morts, la marbrerie Boulogne-Massin. À 18 ans, au contact de l'art Déco et du mouvement surréaliste, il expose pour la première fois à la Galerie Royale de Paris sous le pseudonyme Géo Boulognet. En 1947-1948, il étudie la peinture à l’École nationale des beaux-arts de Paris, puis la sculpture de 1951 à 1958 auprès d'Alfred Janniot.

En 1947, Georges Boulogne se place sous la protection d'une femme fortunée, Olga Kahler, qui le fait connaître dans le milieu mondain de la capitale. Dès lors, comme l'explique Vincent Farion, du Musée du plâtre à Cormeilles-en-Parisis - qui conserve le fonds de l'atelier du sculpteur -, Boulogne « multiplie les commandes de portraits, dont notamment le prince de Broglie (1953), le duc de Noailles (1954), le prince Rainier de Monaco (1955), le Prix Nobel Albert Schweitzer (1955), le compositeur de musique Henri Sauguet (1958), le duc d'Uzès (1958), le scientifique Jean Rostand (1958) et le maréchal Juin (1958). »

... sculpteur issu du surréalisme, admirateur de Dali...

Attiré par le surréalisme et admirateur de Salvador Dali, il est le premier artiste à appliquer en sculpture la « double image », concept formel théorisé par le maître surréaliste en 1930.

La sculpture est mon moyen d’expression. Je suis le premier à avoir découvert et à avoir exécuté en trois dimensions la double-image.

Ma double image est la représentation d'un sujet de forme figurative et classique – qui donne simultanément l'apparition d'une autre image que celle vue au premier instant – sans aucune déformation matérielle des deux visions complètement différentes l'une de l'autre.

Georges Boulogne (1965)

L'artiste a appliqué ce principe à un grand nombre de ses sculptures, telles que « La main 3 yeux » (1953), « ange pigeon » (1954), « ange agneau » (1955) ou « pigeon faucille » (1957-1958). En revanche, il reste plus classique pour ses portraits de célébrités.

… dont il fait un buste célèbre

En 1961, la réalisation du portrait sculpté de Salvador Dali assure à Boulogne une renommée d'autant plus grande que, lors de l'inauguration du buste, le peintre espagnol l'a transformé en sculpture surréaliste. Comme l'explique une nouvelle fois Vincent Farion, « c'est ainsi qu'à New-York, le 18 avril 1963, les moustaches sont représentées par des queues de souris vivantes enfermées à l'intérieur du buste, puis le 13 novembre 1963 à Paris, par des serpents vivants. »

Avec la disparition de plusieurs de ses soutiens et mécènes dans les années 1960-1970, Boulogne voit ses commandes diminuer en même temps que disparaît son atelier de la rue d'Alésia, dans le quartier de Montparnasse, suite à des opérations immobilières. Néanmoins, il continue ses recherches dans le domaine de la création, toujours guidé par le surréalisme. Décédé en 1992 à Paris, il est enterré à Roye dans une concession réalisée par l'entreprise familiale Boulogne-Massin.

Remerciements à Vincent Farion, du Musée du Plâtre à Cormeilles-en-Parisis.

Auteur : Thierry Allard, juin 2018.


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