Écriture et inscriptions romanes
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Mis à jour le 17 octobre 2016
À l'époque romane, l'écriture couvre le parchemin de lettres calligraphiées, minuscules carolines, capitales et onciales. Elle est présente aussi, de façon plus inattendue, sur la pierre des églises. Gravées ou peintes, ces inscriptions nomment les personnages, racontent les scènes ou consacrent les lieux. Décryptage de ces inscriptions, dont certaines sont exceptionnelles....
L'écriture sur le parchemin...
Aux 11e et 12e siècles, l'écriture, composante majeure de la culture savante, connaît un vif engouement. L'essor économique, le développement des richesses, le rôle grandissant des évêques qui ouvrent des écoles, favorisent l'éclosion d'un nouveau public lettré, jusque-là exclusivement religieux ou de très haut rang tels les comtes de Poitou. La production écrite s'accroît : chartes et autres documents juridiques, livres, tous écrits à la main sur du parchemin. Cependant, le livre demeure onéreux et rare. Parfois orné d'enluminures, c'est un objet de luxe, réservé à une élite.
… et sur la pierre des églises
L'écriture n'a pas le parchemin comme seul support. Elle est aussi très présente dans les églises où elle participe à de nombreux décors peints ou sculptés. À l'époque romane, ces inscriptions visibles de tous posent la question de leurs fonctions, dans une société majoritairement analphabète.
Une fonction informative
Gravée ou peinte, l'inscription identifie très fréquemment les personnages. À l'époque romane, il s'agit principalement de figures bibliques ou de saints. Le nom peut être inscrit de part et d'autre de la tête. Parfois, ce sont les paroles d'un personnage qui, gravées sur un livre ou un phylactère (banderole), l'identifient.
Le nom désigne parfois des animaux que le spectateur peut ne pas connaître, comme des animaux exotiques (lion, éléphant...) ou des êtres fabuleux (capricorne, sirène...).
L'inscription est parfois un texte qui décrit la scène, ou enrichit celle-ci d'un sens religieux. Dans la crypte de l'église de Saint-Savin (Vienne), les inscriptions sous les scènes peintes illustrant la vie des saints Savin et Cyprien sont de simples descriptions. En revanche, le texte qui entoure le Christ en gloire peint sur la voûte du chœur de la crypte se réfère à une lettre de l'apôtre Paul et par delà l'image, désigne le Christ comme le guide à suivre.
Une fonction mémorielle
L'inscription peut aussi désigner le fondateur de l'église ou le donateur ou artiste de l’œuvre, qui désire que l'on se souvienne de son nom. Quand celui-ci est suivi de l'expression ME FECIT, qui peut se traduire par m'a fait ou m'a fait faire, se pose la question du sens exact de cette expression. En Poitou-Charentes, le célèbre chapiteau de l'église Saint-Pierre de Chauvigny (Vienne) porte, au-dessus de la scène de l'Adoration des Mages, l'inscription GOFRIDVS ME FECIT. Gofridus est-il le sculpteur ou le donateur ?
Mais la mémoire des personnes est essentiellement transmise par les noms gravés sur les tombes ou sur les plaques commémoratives.
Une fonction symbolique
La société médiévale, dominée par les valeurs chrétiennes, accordent à l'écrit un rôle symbolique fort. La religion est née d'une Loi écrite. Sur les tables de la Loi données à Moïse ont été gravées par Dieu les dix commandements à observer. La Bible est le Livre, où l'histoire du monde, la vie et les paroles de Jésus sont consignées. C'est elle que tient le Christ dans une image fréquente aux 11e et 12e siècles, celle du Christ en gloire. L'écriture dans l'église représente le divin. Lors de la consécration d'une église, un des rites de sacralisation de l'espace est l'inscription dans la cendre, éphémère, des alphabets latins et grecs. Cette cérémonie est peut-être à l'origine d'alphabets gravés dans certaines églises, comme à Saint-Pierre de Chauvigny (Vienne).
Les inscriptions qui désignent ou nomment des images, donnent à celles-ci une valeur de sacralité.
Un graphisme qui évolue
La forme des lettres évolue au cours de l'époque romane, la référence étant l'écriture romaine. Au début du 11e siècle, la graphie s'inscrit dans la continuité des inscriptions carolingiennes : usage de la capitale romaine classique, écriture continue - sans espacement ni ponctuation -. Au cours des 11e et 12e siècles, les espacements et la ponctuation, déjà en vigueur dans les manuscrits, s'imposent progressivement dans les inscriptions.
Il est fréquent de trouver des lettres liées (Æ par exemple) ou enclavées, des abréviations (EPS pour EPISCOPUS par exemple) qui permettent de gagner du temps et de l'espace. Elles sont plus rares lorsque l'inscription est destinée à être lue par tous les lettrés, religieux ou laïcs.
Le graphisme varie aussi en fonction de la technique. L'utilisation du pinceau ou du burin permet d'exécuter plus ou moins facilement les lettres avec les pleins et les déliés qui se multiplient au 12e siècle.
- Ce détail de la scène de la présentation des saints Savin et Cyprien à Ladicius met en valeur les personnages Ladicius et Saviniu,et le jeu de leurs mains. La gestuelle, très codifiée, permet de comprendre l'action. Les noms des personnages, LADICIVS et SAVINUS, sont écrits avec les lettres capitales romaines en usage au 11e siècle. Certaines d'entre elles sont tracées avec des pleins (traits épais) et des déliées (traits fins) : A, S, N, V, ce qui suggère une réalisation assez tardive dans le siècle. Crypte des saints Savin et Cyprien de l'église Saint-Savin (Vienne). © Archives privées © Région Poitou-Charentes, Inventaire général du patrimoine culturel / A. Maulny reproduction.
- Cette pierre de consécration d'autel était primitivement fixée derrière l'autel majeur de l'église Saint-Jean-de-Monternieuf à Poitiers (Vienne). Elle actuellement inséré dans le mur du collatéral nord. L'inscription contient de nombreuses abréviations très fréquentes dans les textes religieux. Les lettres, des capitales romaines, sont régulièrement disposées entre deux réglures (traits). Elles sont souvent liées, voire enclavées (comme dans CONSECRATAVM : les lettres O et R sont enclavées dans les C, les V et M sont liées). Des points séparent des parties de phrases. © Région Poitou-Charentes, Inventaire général du patrimoine culturel / G. Beauvarlet, 2012.
- Les inscriptions du portail ouest de l'église Saint-Pierre d'Aulnay (Charente-Maritime) sont de belle qualité. Gravées en profondeur, les lettres sont régulièrement espacées. Elles mêlent capitales romaines et onciales, ces dernières étant minoritaires. Les mots sont séparés par trois points superposés. La ponctuation, les onciales, la régularité témoignent de l'habileté du graveur et du souci de clarté qui se développe au 12e siècle. © Région Poitou-Charentes, Inventaire général du patrimoine culturel / C. Rome, 2010.
- Les travaux des mois et les signes zodiacaux sont représentés sur le dernier rouleau du portail ouest de l'église Saint-Pierre d'Aulnay. Le mois AUGUSTUS (août) est écrit avec une majorité de lettres onciales : U, G, T. © Région Poitou-Charentes, Inventaire général du patrimoine culturel / C. Rome, 2010.
- Épitaphe de l'abbé Ranulphe conservée dans le mur nord de l'église de l'abbaye de Lesterps (Charente). L'inscription, aux lettres ornementées, est un des exemples les plus réussis de l'écriture fleurie en Poitou-Charentes. Le graveur a fait un usage presque systématique du M oncial, les D, U capital et oncial alternent, le E oncial est largement majoritaire... La double réglure participe également à l'embellissement. © Région Poitou-Charentes, Inventaire général du patrimoine culturel / R. Jean, 2013.
L'écriture onciale et l'écriture fleurie
Un souci d'élégance se manifeste également avec l'utilisation des lettres onciales, capitales rondes créées à la fin de l'époque gallo-romaine. Rares au 11e siècle, elles se multiplient au 12e siècle. Les lettres onciales les plus fréquentes sont les D, E, H, M, T. Deux formes d'une même lettre peuvent cohabiter dans une inscription.
Cette recherche calligraphique s'exprime par le développement des "lettres fleuries", c'est-à-dire avec des renflements, des enjolivements... L'épitaphe de l'abbé Ranulphe dans l'église de Lesterps (Charente) est un des exemples les plus aboutis de "l'écriture fleurie" en Poitou-Charentes, réalisé au milieu du 12e siècle.
Deux exemples remarquables
Une pierre de consécration d'autel de l'église Saint-Jean-de-Monternieuf à Poitiers (Vienne)
Cette pierre de consécration d'autel était primitivement fixée derrière l'autel majeur de l'église Saint-Jean-de-Monternieuf, avant d'être déposée. Elle est actuellement insérée dans le mur du collatéral nord. Elle porte deux inscriptions qui pourraient dater du début du 12e siècle. La première commémore la consécration de l'autel,à une date indéterminée, puis la consécration de l'église ("longtemps après" la consécration de l'autel) par le pape Urbain II en 1096. C'est cette date qui est mise en valeur du fait de la présence d'Urbain II, le chef de l'Église pour la cérémonie de consécration de l'édifice.
La seconde inscription, gravée sur le chanfrein, est dédiée au fondateur du monastère, Gui-Geoffroy-Guillaume, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine (vers 1025 – 1086).
L'association du comte de Poitiers-duc d'Aquitaine Gui-Geoffroy-Guillaume et du pape Urbain II souligne l'importance du monastère Saint-Jean-de-Montierneuf, qui bénéficie dès sa création du soutien de ces deux personnalités.
Première inscription
XI KELENDAS FEBRVARII. PRINCIPALE CONSECRATVM EST HOC ALTARE IN HONORE DEI GE / NITRICIS . ET BEATORVM APOSTOLVRVM IOHANNIS ET ANDREAE .CV / IVS RELIQVIAE CONDITAE IBIDEM SVNT.IPSA VERO DIE HAC.SED / LONGE POST.ANNO DOMINICAE INCARNATIONIS MILLESIMO.XCVI. / PAPA VRBANVS.II.CVM TRIBVS ARCHIEPISCOPIS.TOTIDEMQVE EPISCOPIS.TEMPLO / IN HONORE EORVDEM VENERABILITER DEDICATO.HOC ALTARE IN HO / NORE BEATORVM MARTYRVM.STEPHANI PROTHOMARTYRIS.LAVRENTII.VINCENTII.CRI / SANTI.ET DARIAE.VENERABI[LITER] CONSECRAVIT.IN QVO ET EORVM / RELIQVIAS.POSVIT.A[MEN].
Le 11 des calendes de février cet autel majeur fut consacré en l'honneur de la Mère de Dieu et des saints apôtres Jean et André dont les reliques y ont été déposées. Ce même jour, mais longtemps après, l'an de l'Incarnation du Seigneur 1096, le pape Urbain II procéda avec vénération à la dédicace de ce temple en leur honneur, assisté de trois archevêques et d'autant d'évêques. Il consacra avec vénération cet autel en l'honneur des bienheureux martyrs Étienne, protomartyr, Laurent, Vincent, Chrysante et Darie, et y déposa leurs reliques. Amen.
Deuxième inscription sur le chanfrein
ANNO DOMINICE INCARNATIONIS.MILLESIMO LXXXVI ANTE INFRA SCRIPTVM VERO ANNO X / GAVFREDVS DVX AQUITANORVM [HVIVS] L[O]C[I] / FVNDATOR MORITVR V [AN]NO / ORDINACIONIS GVIDONIS PRIMI ABBATIS [QVEM ET IPSE POST V AN]NOS SEQVITVR.
L'an de l'incarnation du Seigneur 1086, c'est-à-dire dix ans avant l'inscription ci-dessous, Geoffroy, duc d'Aquitaine, fondateur de ce monastère, est mort, la cinquième année de l'institution de Guy comme abbé, lequel, lui-même, le suivit cinq ans plus tard.
Inscription sur le mur nord de l'église de l'abbaye de Lesterps (Charente)
Cette inscription est l'épitaphe de l'abbé Ranulphe, conservée dans l'église de Lesterps (Charente). Elle est composée en hexamètres léonins, versification antique très en vogue aux 11e et 12e siècles.
ECCE DEO GRATVS LACET : IC RAMNVLFVS HVMATVS ; / PASTO CONDIGNVS PIVS ABBAS VIRQVE BENIGNVS ; / QVI PER TER DENOS VITE MODERAMINE PLENOS. / ANNOS REGNAVIT COMMISSOS REXIT AMAVIT ; / MENSE SVB AVGVSTO MIGRAT DE CORPORE IVSTO : / VIVIT ADVC MVLTVS FAMA IAM CARNE SEPVLTVS ; / PRO FAMVLO CRISTI REQVIEM CANTATE MINISTRI
Voici que, agréable à Dieu, Ramnulfe gît ici, enseveli. Pasteur combien digne, saint abbé, homme plein de bonté, Pendant trois fois dix ans, d'une vie vouée au gouvernement Il régna et dirigea avec amour ceux qui lui avaient été confiés. Au mois d'août il quitte son corps de juste ; Il vit encore d'une large renommée bien que sa chair soit ensevelie ; Ministres, chantez requiem pour le serviteur du Christ.
Les transcriptions et les traductions des inscriptions présentées dans cet article sont extraites de : FAVREAU Robert ; MICHAUD, Jean ; LABANDE, Edmond-René (dir). Corpus des inscriptions de la France médiévale. Tome 1 : Poitou-Charentes. Paris, Poitiers, 1975, 1977.
Pour aller plus loin
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TREFFORT, Cécile. L'amour des lettres : culture écrite et jeux graphiques en Poitou et dans les pays charentais à l'époque romane. Dans : BRUDY, Pascale ; BÉNÉTEAU PÉAN, Anne (dir.) L'Âge roman. Arts et culture en Poitou et dans les pays charentais. Xe – XIIe siècles. Montreuil, 2011.
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DEBIAIS, Vincent. L'écriture dans l'image peinte romane: question de méthode et perspectives. Viator, 2010. Lire l'article (pdf)
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DEBIAIS, Vincent ; FAVREAU, Robert ; TREFFORT, Cécile. L'évolution de l'écriture épigraphique en France au Moyen Âge et ses enjeux historiques. Dans : Bibliothèque de l'École des chartes, t.165, 2007. Lire l'article en ligne
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FAVREAU, Robert. Études d'épigraphie médiévale. Pulim, 1995. L'ouvrage en ligne
Auteur : Christine Sarrazin