Musique et musiciens dans les églises romanes du Poitou et des Charentes

Sur un chapiteau de la nef de l’église Saint-Hilaire à Melle, deux musiciens, assis sur des sièges très travaillés, jouent de la harpe-psaltérion (dérivée de la lyre antique). © Région Poitou-Charentes, Inventaire général du patrimoine culturel / M. Deneyer, 1992.
Découvertes
 
  • Mis à jour le 16 juillet 2018
 

À l’époque romane, la musique est avant tout associée à la prière et aux psaumes et destinée à rendre gloire à Dieu. La musique sacrée occupe une place importante au Moyen Âge, tant pour les individus que pour les communautés religieuses.

C'est ainsi que l'influent abbé de Cluny Odon écrit, dans son traité sur la musique du début du 10e siècle, que la musique des anges reflète l’harmonie du monde. Sculptures et peintures des églises romanes sont là pour en témoigner. Des instruments de musique accompagnent fréquemment certains personnages, comme David, les vieillards de l'Apocalypse ou les anges.
 

Frestel, vièle, psaltérion et autres instruments de musique


 

David, maître de la musique céleste 

Sur un chapiteau de l'église Saint-Nicolas à Civray (Vienne), le roi David joue de la harpe-psaltérion face à un acrobate. © Région Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel / C. Rome, 2009.

Maître de la musique céleste, le roi David est l'auteur présumé des 150 psaumes, récités ou chantés, qui composent l'un des livres de la Bible.

En Poitou et en Charentes, David est le plus souvent figuré assis, jouant de la rote ou harpe-psaltérion. Il est parfois seul, comme à Genouillé (Vienne), ou accompagné d’un acrobate, comme à Civray (Vienne), ou d’un autre musicien, par exemple un joueur de vièle (aussi appelée vielle ou viole), sur le portail de l’église Notre-Dame-de-la-Couldre à Parthenay (Deux-Sèvres). Il est représenté dans d’autres régions avec une corne ou un carillon (tintinabullum).

 

Les vieillards de l'Apocalypse

Sur le portail sud de l’église d'Aulnay, les vieillards de l’Apocalypse, ici au nombre de 31, portent une vièle et un vase à parfum. © Région Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel / C. Rome, 2010.

La musique est également associée à de nombreuses scènes de l’Apocalypse (le dernier livre de la bible chrétienne et contenant des révélations, notamment sur la fin des temps).

Les vieillards de l'Apocalypse sont représentés couronnés et barbus, généralement assis et de face. Ils tiennent dans une main un instrument de musique (le plus souvent une vièle) et, dans l’autre, un vase à parfum (par exemple sur le portail du transept sud de l’église Saint-Pierre à Aulnay ou sur le portail de Notre-Dame-de-la-Couldre à Parthenay, où les six vieillards sont debout), ou une coupe à parfum (sur la façade de l’église Sainte-Marie-aux-Dames à Saintes, où quelques vieillards tiennent une harpe-psaltérion).

Leur nombre, qui est de vingt-quatre dans la Bible, varie dans les représentations romanes, en fonction de la place dont dispose le sculpteur.

 

Les anges musiciens

De nombreux anges musiciens sont représentés dans l’église de Saint-Savin. Cette scène de l'Acocalypse, peinte sur la voûte du porche, présente un ange qui sonne de la trompette (à gauche) devant les quatre anges enchaînés sur l'Euphrate et leur armée. © Région Poitou-Charentes, inventaire du patrimoine culturel / C. Rome, 2010.

Les anges, messagers de Dieu, portent fréquemment une trompe ou une corne, particulièrement dans les scènes liées à l’Apocalypse. Sur la façade de l’église de Saint-Jouin-de-Marnes, deux anges soufflant dans une corne encadrent le Christ. Dans certains programmes sculptés, comme sur la façade de l’église Saint-Nicolas à Civray, une quinzaine d’anges musiciens jouent des instruments variés, flûtes et cornes de différents types, vièle, organistrum, clochette, etc.

 

L'âne à la lyre

Sculpté sur un des portails de l’église Saint-Pierre à Aulnay, au milieu d’une foule d’animaux fabuleux, un âne dressé sur ses pattes arrière joue de la harpe-psaltérion. © Région Poitou-Charentes, Inventaire du patrimoine culturel / C. Rome, 2010.

Certains animaux jouant de la musique sont également représentés dans les églises médiévales. Parmi eux, l’âne est régulièrement figuré tout au long du Moyen Âge.

Dans l’art roman, il joue le plus souvent de la rote ou harpe-psaltérion et, dans quelques cas, de la vièle ou de la cithare. Ce motif d'âne musicien était déjà représenté à Ur (une des plus anciennes villes de Mésopotamie) 3 000 ans avant notre ère. Une fable de Phèdre, écrite au 1er siècle de notre ère, fixe le récit. Un roi et une reine sont malheureux de ne pas avoir d'enfant. À force d'implorer les dieux, la reine accouche d'un ânon qu’ils nomment Asinarius et qu'ils élèvent comme leur héritier. Il est instruit, aime particulièrement la musique et apprend à jouer de la lyre et à chanter. Voyant son image dans une rivière et honteux de sa laideur, il part au bout du monde. Il tombe amoureux de la fille d’un roi. Moqué tout d'abord sur son apparence, il joue si merveilleusement de la lyre et a tant de distinction qu'il épouse la princesse. La nuit de noces, Asinarius enlève sa peau d'âne et se transforme alors en un magnifique et vigoureux jeune homme, et finit par régner sur les deux royaumes.
 

Reprise par Boèce au 6e siècle, l’histoire se modifie et prend un sens chrétien. Un âne, dans une prairie, voit une lyre abandonnée par terre et essaye d’en jouer de ses sabots. Il reconnaît son ignorance et estime qu’un plus savant que lui pourrait mieux en jouer. Boèce y voit le symbole de l'ignorance devant la philosophie. Abélard (1079-1142) le compare à l'illettré devant un livre.

À Aulnay, à quelques claveaux de l’âne à la rote, se trouve d’ailleurs un âne tenant un livre à l’envers. L’âne musicien serait ici l’emblème de l’homme charnel, par opposition à l’homme spirituel, et de l’ignorance. Il rappelle au chrétien le caractère sacré de la musique et l'invite à maîtriser ses comportements, à renoncer aux plaisirs de la chair et à la paresse spirituelle.

La musique profane

Sur la façade de l’église de Surgères de nombreuses scènes présentent dresseur d’ours, danseurs, musiciens... Sur ce relief, un joueur de vièle fait danser un petit personnage qui se contorsionne. © Région Poitou-Charentes, Inventaire du patrimoine culturel / C. Rome, 2009.

À côté de la musique sacrée, la musique et la danse profanes sont des activités de cour, encouragées notamment par les comtes de Poitou ducs d’Aquitaine. Le grand-père d’Aliénor d’Aquitaine, Guillaume (1071-1126), fut ainsi surnommé « le troubadour ». Les divertissements avec des danseurs, des acrobates, des contorsionnistes, des lutteurs, des montreurs d’animaux, etc. connaissent aussi, à la même époque, un certain succès. Des représentations variées nous en sont parvenues ; elles seront abordées dans un prochain thème de découverte


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