Conférence sur le patrimoine de Cernay le 24 mars
Le vendredi 24 mars 2023 à 18h, à la salle des fêtes de Cernay, une conférence de Paul Maturi présentera les résultats de l’inventaire du patrimoine de cette commune.

À l'échelle industrielle, les diverses opérations nécessitées par la fabrication et le négoce de l'eau-de-vie (réception des vins, distillation, vieillissement, coupe, expédition) se traduisent par de grands ensembles immobiliers, en milieu urbain comme à la campagne. Ils comprennent généralement des ateliers, des chais, un bureau et un logement autour d'une vaste cour. Ces grands ensembles, créés pour la plupart à la fin du 19e siècle, rompent avec l'organisation traditionnelle des distilleries agricoles, constituées généralement d'un seul petit atelier de distillation qui ressemble aux autres bâtiments de ferme.
L'architecture des distilleries est appropriée à l'image de marque du produit qui y est élaboré, notamment par la qualité des matériaux, de leur mise en œuvre et du traitement ornemental. Les grandes maisons de cognac ont ainsi parfois fait appel à des architectes, tels Eugène Demongeat, qui a construit le complexe Martell vers 1850 à Cognac, et Marcel Oudin, maître d'œuvre des bâtiments Hennessy de 1930. Ces grandes firmes continuent encore aujourd'hui à promouvoir leur image à travers la création architecturale, telle Courvoisier à Foussignac et Hennessy à Châteaubernard.
Les grandes maisons de cognac, situées plutôt au centre des villes, possèdent leur propre atelier de tonnellerie et un chai de mise en bouteilles et en caisses. Pour des raisons de sécurité et d'opportunité, elles ont souvent réparti leurs bâtiments – notamment les chais - entre divers lieux.
Dans les domaines viticoles, les bâtiments de ferme et de distillerie sont rassemblés autour de la maison de maître, qui est parfois un château. Cependant, depuis les années 1960, l'atelier de distillation est construit à l'écart des autres bâtiments pour éviter la propagation d'éventuels incendies.
Quelques établissements possèdent un plan en U, avec des ailes en retour encadrant le quai de réception du vin, comme l'ancienne distillerie coopérative de Saint-Georges-du-Bois bâtie en 1920. Cette forme se retrouve aussi dans le plan type, particulièrement rationnel, des laiteries coopératives du début du 20e siècle.
Les bâtiments sont le plus souvent construits en moellons de calcaire enduits, avec des encadrements en pierre de taille, couverts d'une charpente en bois et d'un toit en tuile creuse. La pierre de taille est parfois employée en gros œuvre, comme dans l'établissement Pellisson, à Cognac.
La mise en œuvre des matériaux est particulièrement soignée dans les constructions traditionnelles, notamment pour l'encadrement des ouvertures : alternance de matériaux (brique et pierre), traitement (bossages), forme (linteau en arc segmentaire ou en plein-cintre). Certains ensembles sont mis en valeur par une entrée monumentale, comme la distillerie Monnet, à Cognac.
Le béton armé est employé à partir des années 1920 ; il permet la création de formes architecturales nouvelles, totalement différentes de celles des distilleries traditionnelles. C'est le cas des bâtiments construits en 1928 et 1929 à Cognac : la tour de mise en bouteilles Martell et le complexe bâti pour Hennessy, composé d'une tonnellerie, d'un chai des coupes, d'un atelier de mise en bouteille et d'un hall d'expédition.
L'emploi du béton se généralise à partir des années 1950, tout comme celui de charpentes métalliques, dans les constructions nouvelles ou lors de transformations.
Dès les années 1940, les constructions des coopératives de l'île d'Oléron par exemple se démarquent elles aussi complètement du modèle passé : dès 1938, la Charentaise vinicole construit à Saint-Pierre-d'Oléron un bâtiment entièrement en béton armé et parpaing, couvert de voûtes en berceau segmentaire. Ces coopératives disposent de grands volumes capables d'accueillir à la fois des pressoirs, des alambics et des zones importantes de stockage.
À partir des années 1960-1970, tous les bâtiments construits allient le béton, l'acier et le verre.
Les différentes opérations de la distillation de l'eau-de-vie de cognac nécessitent un nombre important d'ateliers. Certaines de ces opérations, comme le remplissage de l'alambic depuis la cuve à vin et l'assemblage des crus, nécessitent des bâtiments à plusieurs niveaux pour profiter de la gravitation. En outre, les besoins de stockage du produit, sur plusieurs dizaines d'années parfois, déterminent la construction de vastes chais, à un seul niveau pour la plupart.
La distillerie de cognac est sans conteste l'édifice industriel le plus décoré par la sculpture ou la ferronnerie. Ce décor est destiné à promouvoir la prestigieuse image du produit de luxe qu'est le cognac.
La sculpture se déploie sur les frontons, l'encadrement des portes d'entrée et les linteaux des baies. Les motifs représentent le plus souvent des blasons, armoiries imaginées par les propriétaires, comme celles de la distillerie 4 rue de Segonzac à Cognac. Parfois, il s'agit d'emblèmes des activités de distillation, comme le raisin, et de négoce, comme le caducée, ou de la marque, comme l'ange de Rouyer-Guillet à Saintes.
Pour les ateliers de distillation eux-mêmes, les procédés, qui n'ont guère évolué depuis un siècle, n'ont pas nécessité de transformation majeure des bâtiments d'origine.
Seule l'augmentation des volumes des alambics a parfois entraîné la construction de bâtiments nouveaux à partir de 1960 ; c'est le cas de la distillerie du château de Lignères. Ailleurs, un agrandissement ou un rehaussement des bâtiments préexistants a suffi à répondre aux nouveaux besoins.
Ces ateliers sont de grands bâtiments à un seul niveau, de plan rectangulaire, de 40 à 50 mètres de long sur 8 mètres de large en moyenne. Ils sont identifiables par les nombreuses souches de cheminées qui les coiffent, correspondant chacune à la présence d'un alambic. L'éclairage se fait par de larges fenêtres ou, dans certains cas, par un éclairage zénithal, comme à la distillerie Rouyer-Guillet à Saintes.
À l'intérieur, l'organisation est variable, selon la disposition des éléments constituant l'alambic. Les normes actuelles de sécurité préconisent l'installation séparée des parties de chauffe et de refroidissement. Cet aménagement en ligne est utilisé dans les années 1890 par quelques précurseurs, qui parfois même installent les divers organes composant l'alambic dans des ateliers différents, séparés par des portes coupe-feu.
La distillation, opération délicate, nécessite une surveillance permanente. Sont ainsi aménagés des espaces de repos pour les chauffeurs chargés des chaudières et de contrôle pour le chef distillateur.
En fonction des opérations effectuées par chaque établissement, d'autres bâtiments abritent des tonnelleries ou des ateliers consacrés à l'expédition : mise en bouteilles et en caisses, étiquetage, marquage...
Par ailleurs, un atelier est consacré aux coupes : le maître de chai y pratique les assemblages des différents crus, opération déterminante pour la qualité du cognac.
Dans certains ateliers, une galerie permet de stocker en hauteur les foudres (tonneaux de 50 à 300 hectolitres) desquels on soutire le cognac pour les assemblages ou la mise en bouteilles.
Dans les distilleries d'eau-de-vie de cognac, les chais à vin sont destinés à recevoir les vins avant leur distillation. Le stockage de ces vins pendant 48 heures dans les locaux du distillateur a été rendu obligatoire par un règlement pendant l'Entre-deux-guerres.
Généralement le chai à vin et la distillerie sont contigus et parallèles, de hauteur différente, pour faciliter le passage du vin depuis les cuves du chai jusqu'aux alambics situés en contrebas.
Pour le stockage des vins, les fûts en bois de chêne sont remplacés à partir des années 1920-1930 par des cuves en béton ; depuis les années 1970, les cuves intérieures sont généralement en métal (fer avec un revêtement spécial) et les extérieures en fibre de verre.
Les chais de vieillissement ne se trouvent que dans les établissements qui commercialisent le cognac vieilli. Ils sont alors soit juxtaposés aux autres bâtiments, soit situés un peu plus loin. Ils sont dotés de larges portes permettant le passage des tonneaux ou des véhicules, et de grandes fenêtres fermées par des volets en bois.
À l'intérieur, des poteaux en bois, des piliers de pierre ou des colonnes en fonte supportent les planchers supérieurs, lorsque le bâtiment possède plusieurs niveaux. Un monte-charge est alors aménagé pour hisser les tonneaux à l'étage. Le sol du rez-de-chaussée se compose d'une partie en terre battue, où sont stockés les tonneaux, et d'allées cimentées ou dallées. Les chais les plus récents sont conçus pour stocker les tonneaux de façon entièrement automatisée.
Dans les grandes firmes, le bureau, véritable vitrine de l'établissement, abrite les services administratifs et commerciaux. Il est parfois appelé « comptoir » en souvenir des premières maisons fondées par les Anglais et Hollandais à Cognac, loin de leurs sièges sociaux.
Sa construction soignée emprunte souvent des formes architecturales inspirées du passé. Elles suggèrent la noblesse du produit et l'ancienneté des grandes familles fondatrices du négoce.
En ville, les logements patronaux des distilleries sont d'opulentes maisons bourgeoises, le plus souvent en pierre de taille, au décor soigné, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur.
Dans les domaines viticoles, il s'agit de châteaux ou de grandes maisons de maître, le plus souvent antérieurs à la distillerie, comme le château des Dupuy d'Angeac, à Brives-sur-Charente, datant de 1824, ou parfois édifiés en même temps, comme le château de Lignères à Rouillac.
Quelques établissements ont fait édifier des logements destinés à leurs employés. Ils ne diffèrent pas des logements alors construits pour la classe ouvrière dans les autres secteurs d'activité industrielle : logements contigus sous forme de barre, à un ou deux niveaux ; chaque logement est composé d'une pièce principale (cuisine) et d'une ou deux chambres. Ils sont souvent dotés d'un confort supérieur à celui existant dans les logements ruraux contemporains.
Auteur : Pascale Moisdon, en collaboration avec Catherine Tijou.