Conférence sur le patrimoine de Cernay le 24 mars
Le vendredi 24 mars 2023 à 18h, à la salle des fêtes de Cernay, une conférence de Paul Maturi présentera les résultats de l’inventaire du patrimoine de cette commune.

En Charente, Charente-Maritime, Deux-Sèvres et Vienne, l'activité laitière a suscité une importante réflexion sur l'architecture, favorisée par l'organisation originale du secteur en coopératives. C'est ainsi qu'a été élaboré dans la région le modèle de la laiterie coopérative, suivi pour la plupart des constructions jusqu'en dans les années 1930, et diffusé dans la France entière.
Entre 1930 et 1950, peu de nouvelles laiteries sont construites ; les établissements existants sont agrandis pour assurer une meilleure productivité ou la fabrication de nouveaux produits, comme la poudre de lait et la caséine. Dans les années 1950, de nouvelles constructions voient le jour ; ce sont des bâtiments spacieux, largement éclairés, faisant appel aux matériaux contemporains, comme le béton armé et l'acier.
L'évolution de la laiterie de Celles-sur-Belle, dans les Deux-Sèvres
Les installations qui suivent la création de la première laiterie coopérative de Poitou-Charentes, dans le hameau de Chaillé à Saint-Georges-du-Bois, en 1888, sont souvent traitées comme des dépendances agricoles ; elles se composent d'un petit bâtiment rectangulaire, à un seul niveau et faiblement éclairé.
Malgré l'installation rapide de machines à vapeur, la fabrication de beurre relève encore davantage de l'artisanat que de l'industrie ; ces établissements, considérés comme une annexe de ferme, sont abrités dans des bâtiments préexistants ou construits à cet effet en se référant à l'architecture traditionnelle.
Ces premiers bâtiments se révèlent vite inadaptés, notamment pour les laiteries coopératives qui augmentent leurs capacités de production avec de nouvelles techniques de fabrication.
À partir de 1893, les recherches faites par les théoriciens de cette activité industrielle s'orientent vers l'élaboration d'un plan type de laiterie coopérative, pour rationaliser la fabrication. L'Association centrale des laiteries coopératives des Charentes et du Poitou, créée en 1893, puis l'inspecteur des laiteries coopératives de l'Ouest, Pierre Dornic, nommé en 1897, jouent un rôle primordial dans l'élaboration de ce plan. Chaque nouvelle usine sert de modèle aux suivantes. La réflexion porte essentiellement sur la distribution des différentes salles, leur orientation et l'hygiène. Dans certains cas, la construction se fait sous le contrôle d'un architecte, comme la laiterie de Castarie, à Saivres, conçue par Paul Antoine Mongeaud.
Les installations créées à partir de 1893 se différencient des premières usines par leurs dimensions et surtout par la recherche d'une plus grande fonctionnalité. Leur architecture se distingue désormais de celle des bâtiments agricoles ; elle se rapproche plutôt de celle des constructions publiques des communes rurales, telles que gares et mairies-écoles : symétrie des bâtiments, rythme régulier des façades, larges ouvertures, fronton portant le nom de la coopérative - généralement celui de la commune.
Ces constructions témoignent de l'importance économique et sociale des laiteries coopératives dans les bourgs. Les matériaux mis en œuvre sont traditionnels : moellons enduits avec chaînages en pierre de taille pour les murs, ardoise, tuile creuse ou tuile mécanique pour les toits. L'utilisation de brique pour les linteaux des ouvertures apporte parfois une touche de couleur à ces bâtiments souvent austères.
La bonne marche d'une laiterie nécessite au moins une grande salle de fabrication renfermant les écrémeuses, les barattes et le malaxeur, une autre consacrée aux moteurs, une troisième destinée à l'emballage. L'ensemble est complété par une salle de réunion ou un grand bureau, et éventuellement des caves fraîches. La beurrerie doit être orientée au nord afin de se protéger des grosses chaleurs estivales et, par mesure d'hygiène, les murs et les sols sont recouverts de faïence.
L'usine est plutôt édifiée à flanc de coteau, pour éviter l'usage de pompes : le lait, à son arrivée sur le quai de réception, est versé dans une cuve, d'où il tombe dans un grand bassin - situé dans l'atelier de fabrication - qui alimente les écrémeuses. Les bâtiments de l'usine sont alignés ou forment un U autour du quai de réception du lait.
Le programme architectural d'organisation des laiteries coopératives (implantation, nombre et orientation des différentes salles, revêtements des sols et des murs…) est encore affiné et donne lieu, à partir de 1905, à la création d'un modèle de référence. La composition en U sur un terrain légèrement en pente s'impose, pour faciliter la surveillance du quai de réception du lait et de la beurrerie située en contrebas, ainsi que l'évacuation des eaux usées. Les ailes latérales accueillent de part et d'autre du quai un bureau et un laboratoire.
Ce modèle sera largement suivi par les nouvelles laiteries de la région et aussi d'autres régions, la Touraine notamment, grâce à sa diffusion dans des revues consacrées à l'industrie laitière et à l'architecture, comme La France laitière et avicole. Certaines distilleries d'eau-de-vie de cognac de la région se sont elles aussi inspirées de cette organisation architecturale, comme la distillerie coopérative de Saint-Georges-du-Bois, édifiée en 1920.
Ce plan se transforme au fil du temps : le quai de réception du lait est parfois déplacé contre la façade arrière, le plan en U est quelquefois modifié par la suppression ou l'allongement des ailes
L'architecture de la période précédente est délaissée au profit d'un style moins austère, adopté parfois par les édifices publics contemporains : toitures à demi-croupes, décor de bois, de brique, voire de céramique.
Des matériaux industriels sont mis en œuvre : le métal pour les linteaux des ouvertures et pour les charpentes couvrant les quais de réception du lait, la tuile mécanique pour les toits, etc.
À partir des années 1930, le plan des laiteries délaisse l'organisation modèle élaborée à partir de 1893. Des transformations importantes sont imposées par les nouvelles techniques de production et l'augmentation des volumes de lait traité. Cette augmentation est générée à la fois par l'extension des zones de ramassage du lait (la collecte est désormais faite par des engins motorisés) et par le regroupement de petites unités.
Les techniques de fabrication des années 1960 multiplient par 20 ou 30 les capacités de production des unités du début du siècle. Beaucoup de laiteries sont désaffectées, reconstruites ou modifiées par l'adjonction de nouveaux bâtiments (de plus grandes chaufferies, des garages, des ateliers de réparation mécanique…) et la construction d'ateliers spécifiques de fabrication (atelier de fabrication de caséine, de fromage ou de poudre de lait).
À partir des années 1960-1970 apparaissent de vastes constructions qui abritent l'ensemble des activités sous un même toit. À l'intérieur, de très larges couloirs distribuent les différentes salles : atelier de fabrication, atelier de conditionnement, chambres frigorifiques, magasins.
Des caractéristiques architecturales différencient les divers ateliers de la chaîne de production. Les chaufferies se reconnaissent toujours par leur toit à lanterneau et la proximité d'une haute cheminée. Les ateliers de fabrication de caséine, qui sont généralement des bâtiments à un seul niveau, sont également dotés de petits lanterneaux. Les ateliers de fabrication et d'affinage du fromage possèdent un grand nombre d'ouvertures pour assurer la ventilation nécessaire : à partir des années 1940, ces ateliers ont souvent plusieurs niveaux et des ouvertures hautes et étroites.
À la fin des années 1940, les matériaux industriels remplacent peu à peu les matériaux traditionnels dans les nouvelles constructions ; le béton armé et les charpentes métalliques font leur apparition. La plupart des usines sont largement éclairées par de grandes verrières, voire par des sheds comme à la laiterie d'Aytré.
Les logements annexés aux laiteries sont généralement limités à ceux du directeur et du responsable de la chaufferie. Ils sont tantôt abrités dans le même bâtiment que l'usine, tantôt dans un bâtiment accolé. Ce sont des constructions d'aspect modeste, qui n'ont pas fait l'objet de recherche architecturale particulière.
Le plus souvent, le décor se limite à l'inscription gravée de la raison sociale de l'établissement et de sa date de création. La céramique est parfois utilisée pour souligner l'ordonnance des façades, comme aux laiteries d'Échiré et d'Arçais. Le bandeau en céramique de Gien de la laiterie de La Mothe-Saint-Héray, d'inspiration Art nouveau, est exceptionnel.
Deux laiteries coopératives mettent à l'honneur leur fondateur : le buste en bronze de Delphin Sagot orne la cour de l'établissement d'Échiré depuis son inauguration en 1910, un médaillon de bronze représentant Eugène Pérault est apposé sur la façade de la laiterie de Saint-Loup-Lamairé depuis 1921. Ces deux œuvres sont des réalisations du sculpteur niortais Pierre-Marie Poisson (1876-1953).
Auteur : Pascale Moisdon, en collaboration avec Catherine Tijou.