Conférence sur le patrimoine de Cernay le 24 mars
Le vendredi 24 mars 2023 à 18h, à la salle des fêtes de Cernay, une conférence de Paul Maturi présentera les résultats de l’inventaire du patrimoine de cette commune.

En Charente, Charente-Maritime, Deux-Sèvres et Vienne, 49 usines de transformation de peaux, étudiées dans le cadre de l'inventaire du patrimoine industriel, témoignent de cette activité qui s'industrialise à la fin du 19e siècle. C'est dans les Deux-Sèvres qu'il existait le plus grand nombre d'usines de peausserie, notamment à Niort, spécialisée dès le Moyen Âge dans la chamoiserie et la ganterie.
La diversité des peaux (l'épaisseur du derme notamment), ainsi que la variété des produits fabriqués (selles, courroies, chaussures, gants, fourrures, reliures.) conduisent à la spécialisation des métiers : tanneurs, mégissiers, chamoiseurs, pelletiers, etc. Les peaux qui approvisionnent les établissements proviennent généralement des boucheries et, à partir du 19e siècle, des abattoirs de la région. Certaines sont importées : ainsi, les peaux en provenance du Canada fournissent dès le 16e siècle les chamoiseries de Niort, dont elles font la renommée. Au début du 20e siècle, les peaux d'origine étrangère sont de plus en plus utilisées pour satisfaire les demandes croissantes en cuir.
Le savoir-faire des artisans, transmis de génération en génération, est jalousement gardé au sein de corporations formées depuis le 13e siècle et évolue peu. Ce n'est qu'au tournant des 19e et 20e siècles que les procédés s'industrialisent par la mécanisation et l'utilisation de produits chimiques ; de nombreux petits ateliers disparaissent alors au profit de quelques grands établissements.
La préparation du cuir dans les tanneries et chamoiseries favorise l'implantation de quelques usines d'habillement : usines de chaussures et fabriques de gants en peau chamoisée. Des établissements se chargent par ailleurs de la transformation des résidus de la tannerie (pattes, crins, soies de porc.), ainsi que de ceux des abattoirs (carcasses d'animaux) : usines d'engrais, usines de colles, fabrique de crin frisé utilisé dans le rembourrage des sièges, usine de traitement de soies de porc destinées à la brosserie, etc. La transformation des peaux d'oie est une activité spécifique qui se développe dans la Vienne à partir des années 1880 : quelques établissements se consacrent à la fabrication de houppes à poudre et de passementeries en duvet, exportées dans toute l'Europe et aux États-Unis ; l'arrivée sur le marché de matières synthétiques cause leur fermeture dans les années 1950.
Un grand nombre de tanneries artisanales ont existé dans la région (chaque ville traversée par un cours d'eau possédait un quartier réservé aux tanneurs), mais peu se sont industrialisées ; quatorze usines ont été étudiées : cinq en Charente, quatre dans les Deux-Sèvres, trois dans la Vienne et deux en Charente-Maritime.
Dès le Moyen Âge, la ville de Niort se spécialise dans la chamoiserie, qui consiste à traiter les peaux avec de l'huile de poisson de façon à les rendre aussi souples qu'une étoffe. La concentration d'usines de peausserie (dix chamoiseries, cinq ganteries, une tannerie, ainsi qu'une usine de colles et de préparation de crins et de soies de porc) témoigne du dynamisme de cette activité, dans la ville même et ses environs, au tournant des 19e et 20 siècles.
C'est aussi dans les Deux-Sèvres que se situe la majorité des usines de chaussures : neuf des douze établissements identifiés sont en effet installés dans ce département ; six d'entre eux, regroupés à Mauléon et à Cerizay, sont à mettre en relation avec le travail du cuir dans le Choletais limitrophe. Les trois autres établissements sont situés en Charente et dans la Vienne.
L'état des tanneries dans les Deux-Sèvres au début du 19e siècle
En 1811, on compte dans le département des Deux-Sèvres 66 tanneries, qui emploient 200 ouvriers et qui possèdent en moyenne deux fosses (le plus grand des établissements en compte dix). Ces dernières mesurent environ 2,20 mètre de diamètre sur 1,60 mètre de profondeur et consomment annuellement 2 500 kg de tan (écorce de chêne moulue), qui provient de la région. Une fosse de grandeur moyenne peut contenir 50 peaux de bœuf ou 100 peaux de vache, 600 peaux de veau ou encore 1800 peaux de mouton.
Par ailleurs, trois usines d'engrais à base de noir animal (carcasses d'animaux calcinées) se sont installées en Charente-Maritime et dans les Deux-Sèvres ; l'une d'elles, toujours en activité à Parthenay, s'est orientée vers le négoce d'engrais minéraux.
L'activité de tannerie s'industrialise lentement et tardivement dans la région. Il faut attendre les années 1880-90 pour que des machines, entraînées par des moteurs à vapeur, soient utilisées pour l'écharnage (l'une des opérations de préparation des peaux qui consiste à les débarrasser des chairs avant de les tanner). L'utilisation de produits chimiques, qui permet un gain de temps notable, n'apparaît qu'à la même époque.
Seuls quelques établissements connaissent un développement très important, comme l'usine Poyaud à Mauléon, qui occupe 300 personnes dans ses ateliers et à domicile dans les années 1900, et surtout la tannerie de Sireuil.
L'ancien site métallurgique de Sireuil est transformé en mégisserie en 1898 ; cette dernière est achetée en 1907 par Eugène Cléry, qui y installe une tannerie moderne. Cet industriel du cuir est en effet l'un des premiers en France à avoir testé dans son usine parisienne, à partir de 1895, le tannage aux sels de chrome mis au point en Amérique. En Charente, son esprit novateur se révèle aussi dans l'utilisation du chrome pour le vernissage du cuir, qui est effectué dans une annexe installée à Nersac dans une ancienne filature.
La tannerie de Sireuil connaît un essor considérable : de 17 employés en 1907, elle passe à 400 ouvriers peu avant la Seconde Guerre mondiale. C'est la plus grande tannerie régionale et la troisième de France dans les années 1960.
Elle est spécialisée dans la fabrication du cuir destiné aux dessus de chaussures ; les peaux utilisées sont essentiellement du veau, travaillé au moyen de procédés de tannage et de finissage extrêmement variés et de grande qualité. Les peaux sont importées du monde entier et, dans les années 1930, le cuir produit est exporté pour les quatre cinquièmes.
Le développement de l'entreprise entraîne dans les années 1920 la construction de nouveaux bâtiments : un très grand atelier de fabrication couvert de sheds, un bâtiment frigorifique pour le stockage des peaux et un édifice à quatre niveaux servant à la fois pour le finissage et le stockage. La tannerie de Sireuil ferme en 1981.
L'activité de chamoiserie à Niort est attestée depuis le 12e siècle. Son développement est lié aux caractéristiques de la Sèvre niortaise : la qualité de ses eaux, un débit suffisant pour entraîner les moulins à foulon, ainsi que sa navigabilité depuis l'océan qui facilite le transport de l'huile de poisson nécessaire au traitement des peaux. Après sa naissance dans le quartier du Pelet (près des ponts Main), elle se développe dans celui de la Regratterie. À partir du 16e siècle, les artisans chamoiseurs constituent une corporation.
La découverte en 1534 du Canada par Jacques Cartier va asseoir pour de longs siècles la tradition et la renommée de Niort pour sa spécialisation dans la chamoiserie. Les peaux proviennent dès lors du Canada, et l'huile de poisson de Terre-Neuve, via le port de La Rochelle ; on y embarque les vins saintongeais et les étoffes de la Gâtine échangés contre les peaux et les huiles du Nouveau Monde. Les peaux apprêtées, les gants et les culottes fabriqués à Niort se vendent alors dans toute la France et à l'étranger, à partir des ports de La Rochelle et de Nantes. Le 18e siècle connaît un certain ralentissement, avec la baisse des importations canadiennes, conséquence de l'affrontement franco-anglais à partir de 1689.
À la fin du 18e siècle, un industriel niortais, Thomas Jean Main, donne un nouvel essor de la chamoiserie par l'utilisation de procédés innovants de ponçage qu'il a observés en Angleterre et la réorganisation de la profession ; il est notamment le premier à maîtriser l'ensemble de la chaîne de production, depuis la préparation des peaux jusqu'à leur ponçage et leur teinture.
Au 19e siècle, les chamoiseries niortaises trouvent leur premier débouché dans la ganterie : quelques établissements ont à la fois une activité de chamoiserie et de ganterie. Elles fournissent également des produits destinés aux militaires - culottes, ceinturons, gibernes (boîtes à cartouches), etc. Par ailleurs, elles revendent à un prix élevé l'huile de poisson qui a servi à chamoiser les peaux, appelée « moellon » ou « dégras » ; celle-ci possède en effet des qualités recherchées pour le corroyage (opération d'assouplissement des cuirs après le tannage).
À Niort, la première machine à vapeur actionnant une scie refendeuse dans une chamoiserie est installée en 1856 chez Bastard. Les débuts de la mécanisation s'accompagnent, dans les années 1860-1870, d'une concentration de l'activité au sein de quelques grands établissements. Cette mécanisation se développe lentement et il faut attendre les années 1920 pour qu'elle concerne l'ensemble des opérations.
Au début du 20e siècle, les produits fabriqués trouvent encore un débouché important sur le marché français, mais aussi dans les centres européens, en premier lieu l'Angleterre, et aux États-Unis. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, les huiles animales (morue, baleine ou poissons divers) qui servent à la chamoiserie proviennent de Terre-Neuve, d'Angleterre et du Japon. En 1921, plus de trois mille personnes sont employées, dans les établissements et à domicile, à divers travaux de chamoiserie dans la ville. Aux alentours de 1930, l'arrêt des exportations vers l'Angleterre cause de nombreuses faillites et entraîne une réorientation de la ganterie niortaise vers la fabrication en cuir pleine fleur (couche externe non poncée).
Auteur : Pascale Moisdon, en collaboration avec Catherine Tijou, juin 2017.